Dimitri Casali fait en ce moment la promotion de son "Altermanuel d'histoire de France – Ce que nos enfants n'apprennent plus au collège". Dimitri Casali, c'est lui qui m'avait proposé le sujet de notre livre commun, "Ces immigrés qui ont fait la France" (et non "Ces grands immigrés qui ont fait la France" comme il aime à répéter sur les ondes avec emphase.) C'est lui aussi qui avait trouvé l'éditeur : Aubanel. A l'époque, Dimitri Casali disait vouloir faire le livre "qui réconcilie les Français", noble tâche à laquelle je fus heureuse d'être associée car j'entendais par là, entre autres, lutter contre toute forme de xénophobie et de racisme en retraçant quelques destinées de personnages célèbres de l'histoire de France, nés "étrangers".
Or à lire, écouter et voir ses récentes interviews, il me paraît qu'aujourd'hui mon ex-co-auteur a changé son fusil d'épaule, ayant écrit, cette fois, un livre "qui divise les Français" et ceci dans un contexte pré-électoral particulièrement dégradé et dégradant au sujet de l'immigration et de l'identité nationale si chère à notre gouvernement. C'est pourquoi je tiens à mettre les choses au point en me désolidarisant totalement de tous les propos actuels de Dimitri Casali. Ceci d'autant plus qu'il cite régulièrement notre ouvrage commun pour se dédouaner de tout soupçon de racisme et de xénophobie. "On ne peut pas m'accuser de xénophobie, moi qui ai écrit « Ces grands immigrés (sic) qui ont fait la France !" s'indigne-t-il à chaque fois. Qu'il regrette, dans les nouveaux programmes d'histoire au collège, la réduction de la place consacrée à Louis XIV, Napoléon Ier et aux récits de batailles peut porter à débat. Mais sa réticence réitérée de voir enseigner à ce même public l'histoire de plusieurs civilisations extra-européennes, sous le prétexte fallacieux que les élèves ont déjà du mal à assimiler l'histoire de France, me paraît déplacé autant que mal venu et surtout démagogique.
De plus, son raisonnement donne peu de crédit aux talents pédagogiques des enseignants et aux capacités intellectuelles des élèves. Ce serait un peu comme dire : "Les élèves ayant déjà des difficultés avec l'algèbre, inutile d'aborder la géométrie." Et surtout, je trouve très équivoque la façon dont Dimitri Casali présente ses idées. Il est beaucoup plus mesuré dans ses écrits qu'à l'oral. Dans le "Figaro Magazine" du 27 août dernier, par exemple, dans un article illustré de vignettes anciennes aux allures d'images d'Epinal qui trahissent – humour involontaire ? – la démarche passéiste de l'ensemble du propos, il écrit : "La connaissance des histoires de la Chine, de l'Inde ou de l'Afrique est importante et passionnante, notamment à l'heure de la mondialisation. Cependant (…) mathématiquement, ces nouvelles thématiques s'intègrent dans les programmes aux dépens de l'histoire de France ou de l'Europe. Il ne s'agit pas, bien sûr, d'établir une quelconque hiérarchie aberrante entre les civilisations (…)". Si la critique de la répartition "mathématique" de l'histoire de cultures étrangères par rapport à celle de la France me paraît fort discutable par son risque d'ethnocentrisme, je ne peux qu'approuver le refus de classification des civilisations. En revanche, dans ses prestations à la radio et à la télévision, Dimitri Casali "se lâche", trompettant avec ardeur et constance : "On supprime l'histoire de nos rois et de Napoléon au profit de l'empire Songhaï et du Monomotapa, vous vous rendez compte !…" Ah, comme les journalistes et auditeurs complaisants prennent plaisir à écorcher la prononciation de ce royaume médiéval méconnu du plus grand nombre et qui correspond à l'actuel Zimbabwe ! Le Monomotapa ? Késaco ? Cékoissa ? Belle démonstration de connivence de la bêtise que de sous-entendre ainsi sans, bien sûr, jamais le dire ouvertement : "Mais quel intérêt de farcir nos têtes blondes avec pareilles billevesées inconnues du commun des mortels, lointaines, africaines, si différentes de nous !"… et peut-être pire encore ! Le non-dit ainsi induit, la suggestion, laissent la place aux pensées les plus extrêmes. Quel mépris aussi, je le répète, pour les jeunes élèves, quand Dimitri Casali affirme, sans aucun fondement : "Ce n'est pas à des enfants de 11-12 ans qu'on va apprendre l'empire du Monomotapa !" Ah bon ? Parce que l'empire romain, à 11-12 ans, c'est plus facile à digérer ? Je vois là surtout une manière de flatter la fausse, la demi culture, autocentrée et nationaliste dans le mauvais sens du terme, le sens "fermé à l'altérité", particulièrement quand celle-ci vient du grand Sud.
Un point de vue partagé, malheureusement, par la plupart des peuples et contre lequel on doit partout lutter. Dimitri Casali, qui aime à déplorer la "bien-pensance", terme utilisé par la droite et l'extrême-droite pour contester les idées de gauche les plus généreuses, verse, à son tour, dans la bien-pensance réactionnaire avec son flot de banalités xénophobes pulsionnelles glanées au "café du commerce". Comme lorsqu'il s'attaque avec virulence à l'esprit de "repentance", à la "lecture culpabilisante" de l'histoire de France. "L'esprit de repentance", pour décrypter, si c'est encore nécessaire, ce langage rebattu et dangereux, désigne la manière de tenter d'avoir un regard juste sur ce que furent les périodes sombres de l'histoire telles que, par exemple, l'Inquisition, la traite négrière ou la collaboration.
La démarche historique qui consiste à replacer les faits dans leur contexte et les mentalités des contemporains n'empêche nullement d'y poser un regard critique, sans quoi on alimente le déni d'histoire en proposant celle des oppresseurs ou des indignes. Non, je ne pense pas qu'enseigner l'histoire c'est dire aux élèves que "l'histoire de France est l'une des plus belles du monde" comme l'affirme Dimitri Casali, ni que le but de l'enseignement est d'acquérir "l'amour de la France par l'amour de l'histoire de France".
Le but de l'enseignement de l'histoire est d'acquérir les connaissances les plus vastes possibles, une méthode de travail et un esprit critique, garant de la citoyenneté démocratique. Pour l'anecdote, Dimitri Casali, dans son élan d'exaltation de la culture française a également vanté sur le petit écran "le succès interplanétaire" (sic) des "Misérables" de Victor Hugo (dans l'émission "C'est à dire" d'Axel de Tarlé, sur France 5, le 2 septembre 2011, à retrouver sur You Tube à 8,27 min). Bigre ! Voilà qu'il va falloir ajouter aux programmes de français la littérature martienne... Comme le constate lui-même l'auteur de "L'Altermanuel", le phénomène de la mondialisation, (accentué par le développement de l'information), l'est aussi par la diversité d'origine plus grande qu'autrefois des élèves français, de "souche" hexagonale, européenne ou extra-européenne, sans compter les primo-arrivants accueillis dans les écoles françaises au grand dam de certains.
C'est bien pour cela qu'est particulièrement pertinente l'étude de l'histoire extra-européenne dès le collège et même avant, pourquoi pas ? On ne peut que s'en réjouir et pour le plus grand profit de TOUS les élèves. Elargir la connaissance est toujours pertinent et la pédagogie est justement le moyen d'adapter l'enseignement à la portée des élèves et de leur âge. Ce n'est donc pas le point de vue de lobbies qui s'exprime ici, et notamment du "lobby antillais" que se plaît à stigmatiser Dimitri Casali à propos de l'esclavage et de la colonisation, sujets, il faut tout de même le rappeler, qui furent longtemps enseignés à travers un prisme idéologique marqué par le contexte colonial et post-colonial. Dimitri Casali se défend de relancer la pensée réactionnaire fermée à l'altérité, promue avec une énergie décuplée ces derniers temps par la droite dure, l'extrême-droite et parfois même l'aile droite de la gauche en France et dans toute l'Europe.
Pourquoi donc, alors, est-il reçu avec bienveillance, c'est le moins qu'on puisse dire puisque les commentaires abondent toujours dans son sens, par des journalistes tels que Robert Ménard sur I-télé, auteur de "Vive Le Pen !" ou, à plusieurs reprises sur RMC par Eric Brunet qui a publié notamment, "Etre de droite, un tabou français" et "Dans la tête d'un réactionnaire" ? Pourquoi l'"Altermanuel d'histoire de France" est-il encensé sur le site d'extrême-droite "François Desouche" (et probablement sur d'autres de même tendance, je n'ai pas eu le cœur de faire la recherche et ce site-là est le plus fréquenté du genre) ? Pourquoi encore Dimitri Casali laisse-t-il afficher sur sa page Facebook des commentaires tels que : "Heureusement qu'il y a des hommes comme vous en France. Grand respect ! Car nous sommes entourés de collabos de tous poils dans ce pays…"(Commissaire Valentin 30/08/2011). Je note ici un vocabulaire et des références historiques douteuses dont usent et abusent, pour désigner leurs adversaires, les intervenants de la "fachosphère", comme on l'appelle maintenant. Et encore : sur la page Facebook de la pétition en ligne que Dimitri Casali a lancée en juillet 2010, "Notre histoire forge notre avenir", des commentaires défendent "Radio Courtoisie ", la radio connue pour ses positions de la droite dure et extrême et d'autres affichent ainsi la couleur : "Ras le bol des traîtres qui vendent le pays aux lobbys (sic) étrangers… Faut tous les virer aux prochaines élections !" (Mercure de Gaillon, 16/06/2011) ou encore dénoncent le projet "communautariste" de la sénatrice UMP (pas vraiment une femme de gauche, je crois, sauf si on se place à la droite de la droite) Fabienne Keller, qui souhaite "créer un manuel franco-africain sur le modèle d'un manuel franco-allemand"...
Cette dérive de Dimitri Casali m'accable d'autant plus que la rédaction de notre ouvrage commun a participé de mon intérêt pour la question et m'a poussé aussi à enseigner "sur le terrain" auprès de primo-arrivants adultes et adolescents (en Zep et ailleurs), tous particulièrement sensibles à l'enseignement de cultures "croisées". D'entendre mon co-auteur se ranger publiquement du côté d'une pensée aussi dangereuse que délétère me laisse consternée. Il utilise de surcroît des références faussement consensuelles puisque dans la pétition figure la phrase de François Mitterrand; "Un peuple qui n'enseigne pas son histoire est un peuple qui perd son identité" et invoque, beau paradoxe, la culture commune du "vivre ensemble". Je préfère la fibre artistique de Dimitri Casali, quand il chante l'épopée napoléonienne déguisé en général Bonaparte dans son groupe "Historock" à vocation pédagogique. Au moins, là, il fait rire. A ces allégations dépassées sous leur vernis cocardier, menées dans cette obsession si partagée, hélas, des "racines" je préfère ces lignes d'un lecteur du "Monde", Guy Abeille, publiées le 21 septembre 2008 et que j'avais déjà reprises sur mon site, tant elles m'avaient parues lumineuses : "Plutôt que des racines, les nations ont une histoire, qui les a conduites au point où elles se trouvent : qui les a faites à un moment donné, mais dont également elles ont su se défaire – et c'est précisément de s'en défaire qui aussi les a faites. Qu'on le dise aux enracinés; les nations ne sont pas des végétaux; elles sont une histoire en marche – marche sinueuse, anguleuse, brisée, dont le parcours se construit tous les jours." Ou encore cette réflexion de Sylia Serbin, dans la préface de son "Reines d'Afrique et héroïnes de la diaspora noires" : "Souhaitons donc que cette contribution incite les chercheurs d'où qu'ils viennent, à valoriser la part prise par des figures du monde noir dans l'édification de la civilisation universelle. Nous le devons à nos jeunes générations, afin qu'elles puissent élargir leur cadre de références pour contribuer de façon plus féconde à l'enrichissement des valeurs de l'humanité."