À lire : Valentine d’Arabie, la nièce oubliée de Lamartine, Fawzia Zouari

Valentine d’Arabie, la nièce oubliée de Lamartine, Fawzia Zouari

Catégorie : Biographie Éditeur : Le Rocher ISBN : 9782268104508 Posté le par Liesel

Valentine d’Arabie, la nièce oubliée de Lamartine, Fawzia Zouari


Cela commence par l’histoire d’une étudiante tunisienne qui cherche un sujet de thèse lors de ses études de lettres à la Sorbonne dans les années 1970. Inspirée par un article que lui signale son professeur de français, celle qui se dit “Arabe issue d’une tribu de cheikhs enturbannés et de femmes sous le voile” se passionne pour l’étonnant destin d’une “Gauloise” d’un autre temps, la petite-nièce de Lamartine, née à Lyon en 1875. Fawzia Zouari (*) a aujourd’hui repris la plume pour transformer ce travail universitaire en une attrayante biographie. Le père de la future “Valentine d’Arabie” décrivait avec justesse et prescience sa progéniture comme “jamais satisfaite parce que désirant tout”. Élevée à Mâcon en “jeune fille de bonne famille”, l’adolescente, très attachée à la figure de l’ancêtre, auteur du fameux “Lac”, trompe son ennui en écrivant à son tour des vers sous le pseudonyme de “Mignon”. Son mariage à dix-huit ans avec un professeur de lycée la déçoit. Comme nombre de ses contemporaines, Valentine découvre, après la période trompeuse des fiançailles, un être brutal dont elle se dit dégoûtée dès la nuit de noces. L’indomptable retourne chez sa mère en demandant le divorce par voie d’huissier avant de découvrir l’amour entre les bras d’un député qui va devenir son second mari à la faveur de la mort subite du premier. Trépas naturel ? L’entourage de Valentine se pose la question, face au tempérament irascible de la jeune femme...

La remariée est bientôt charmée et charme à son tour le Paris de la Belle Époque où se trouve son nouveau domicile conjugal. Elle y est baptisée “la Muse pourpre” pour les tenues rouges qu’elle affectionne. Aux collègues de son époux, ces barbus de la IIIème République, Valentine, qui a pris pour pseudonyme madame de Saint-Point, préfère les artistes, à l’exception toutefois de René Viviani, autorisé à entrer dans le cheptel amoureux de cette insatiable. Exception peut-être liée au fait que le futur ministre vient de voter une loi autorisant les femmes à devenir avocates ? Donc Valentine pose et plus car affinités, pour le peintre tchèque Mucha, pour le sculpteur Rodin sensible à sa plastique parfaite, ouvre son salon à Paul Fort, Apollinaire, Chagall, Stravinski… Elle aime aussi échanger avec les esprits défunts et c’est lors d’une séance de table tournante qu’elle aurait rencontré Ricciotto Canudo  – poète et critique italien qui a donné au cinéma ses lettres de noblesse en le baptisant “septième art” – pour lequel son cœur s’enflamme et réciproquement. Valentine, il l’appelle “la Divine” ou “l’Unique”, lui fait découvrir la Méditerranée et le Maghreb. En visitant avec lui la grande mosquée de Cordoue, la voyageuse raconte éprouver sa première attirance pour l’islam…

Valentine se découvre également féministe, un féminisme guerrier et guère prude, axé sur la libération par le sexe, différent de l’autre, celui qu’elle dit “socialisant”, surtout centré sur l’égalité économique et professionnelle; un courant qu’elle qualifie de “sentimental” et même d’“erreur cérébrale” (!). Son radicalisme amène la Muse pourpre à flirter – dans tous les sens du terme – avec le futuriste de droite Marinetti qui partage ses thèses prônant une virilité d’action tant masculine que féminine, traduites à travers une chorégraphie inspirée, la “métachorie”. Dans ses conférences, Valentine prend pour modèles Messaline, les Amazones ou Jeanne Hachette puis danse, vêtue d’un costume mérovingien, afin de “retrouver l’énergie des grands anciens”. Son “Manifeste futuriste de la luxure” fait l’apologie de la civilisation supérieure (européenne) dont son auteure espère répandre les idées à travers un “Collège des Élites” qu’elle va tenter, en vain, de fonder. Valentine part aux États-Unis en pleine Première guerre mondiale, escortée de deux jeunes admirateurs qui se disent théosophe et musicien. Oubliée à son retour d’exil, l’originale se réfugie alors dans l’étude des civilisations orientales, affirmant trouver dans l’islam la juste adéquation entre ordre social et tradition sacrée. Partie à Tanger en 1918 où elle se serait convertie, Valentine proclame “chercher à y réconcilier Orient et Occident“, union qu’elle juge “nécessaire à l’équilibre mondial”, vraie vision d’anticipation et peut-être influencée par les textes de Lamartine écrits un demi siècle plus tôt sur la question d’Orient ! L’exilée continue de recevoir ses nombreux amants tout en poursuivant ses activités ésotériques en Égypte. Là-bas, l’entente n’est guère cordiale avec ses consœurs de la Direction de l’Union féminine, Hoda Chaaraoui et Cesa Nabaraoui qu’elle trouve exagérément “occidentalisées”, ce qui n’est pas un compliment sous sa plume, et manquant d’aspirations spirituelles, tandis que ces dernières s’offusquent de sa défense d’un islam à leurs yeux trop traditionnel. La Française inquiète aussi l’occupant anglais par les propos anticoloniaux qu’elle tient dans son journal “Phoenix”. Les Britanniques la surveillent de près, la croyant au service du quai d’Orsay pour déstabiliser la région. Non contente de prôner un nationalisme égyptien, Valentine frôle l’expulsion du territoire en invoquant la nécessité de créer une ligue arabe et un califat islamique !

L’étrange aventurière termine ses jours chichement, pigeant à la rubrique “Astrologie” de journaux populaires et obligée de vendre les bijoux et objets précieux du temps de sa splendeur… Aucun éditeur n’accepte plus de publier ses textes qui paraissent délirants quand elle annonce une Seconde Guerre mondiale ou l’islamisation de la France qu’elle appelle de ses vœux. En 1939, la vieille dame assiste pourtant avec effroi à l’exécution de sa première “prédiction” et confronte sa vision du soufisme et de l’hindouisme avec celles, ésotériques, de son compatriote René Guénon, éloigné lui aussi de l’Occident qui lui paraît spirituellement dévitalisé. Fawzia Zouari décrit une Valentine en “Folle de Chaillot d’Arabie” quand, à près de quatre-vingts ans, elle ne quitte plus que rarement son petit appartement du Caire pour déambuler au bras de son domestique, outrageusement fardée, la chevelure teinte en rouge.

 

 

 

(*) Fawzia Zouari a célébré, dans le numéro du 25 mars 2021 de “Libération”, la féministe égyptienne Nawal el-Saadawi, décédée quelques jours plus tôt. Celle qu’elle baptise “Notre Simone à nous” en référence à Beauvoir, n’a cessé de combattre, sa vie durant, le patriarcat et l’autoritarisme religieux qui persiste à vouloir assigner les femmes au silence… Un combat qui ne semble jamais terminé !