À lire : Bleu, blanc, noir, Karim Amellal

Bleu, blanc, noir, Karim Amellal

Catégorie : Roman Éditeur : L'Aube ISBN : 9782815920018 Posté le par Liesel

Bleu, blanc, noir, Karim Amellal


Voici un roman à clé très transparent, à dessein, puisqu’il imagine la vie politique française des prochains mois : le chef de l’Etat, ancien espoir de la gauche devenu l’appui du Medef, a pour nom Martin Luxembourg, son vibrionnant prédécesseur qui rêve de lui reprendre le pouvoir, François Cramoizy, l’ultime “rouge” opposant au libéralisme et encore en attente d’un “grand soir”, Jean-Pierre Elanchon, tandis que la blonde et résolue Mireille Le Faecq, cheffe du Parti National, incarne la pensée d’extrême-droite sous un vernis de refondation policée qui ne trompe personne...

L’histoire nous est contée par un jeune banquier “bi-national”, comme on dit aujourd’hui, dont les parents d’origine algérienne sont venus s’installer en France pour y trouver des conditions de vie meilleures que celles offertes par leur pays d’origine encore dans les affres d’une toute fraîche décolonisation. Ce “winner” au quotidien trop agité pour se consacrer à l’introspection, parisien à fort pouvoir d’achat octroyé par sa fonction – les métiers de la finance s’embarrassent peu des origines sociales ou de la couleur de la peau… l’argent n’a pas d’odeur, c’est le gain qui compte avant tout – croit appartenir définitivement à la “congrégation des heureuses gens”. Celle qui a pour principal sujet de conversation des projets d’avenir toujours radieux et une vision de la réalité peu sensible aux difficultés du reste du monde, surtout quand il est proche. Celle encore où les parents s’inquiètent de voir leurs rejetons entamer des études de philosophie, de littérature ou d’histoire, voies sans issue financière acceptable… Les habitants de la “ville lumière” en prennent pour leur grade à travers la plume acérée d’Amellal : “Paris, c’est Byzance. Tout ici empeste l’opulence. Les vitrines font bombance de luxueuses breloques offertes à la concupiscence des passants étourdis. Dans les cafés, des gamines fardées comme des cabaretières orientales tapotent nonchalamment sur leur iPhone dernier modèle dont le prix de vente unitaire s’élève à lui seul à plusieurs inscriptions universitaires. Des couples de jeunes nantis se pavanent, comme sur la Croisette, en saupoudrant leur amour de papier glacé. Hors des immeubles et des bureaux suintant l’ennui et la tristesse, dans ces lieux publics où l’insouciance est la règle et le bonheur un étendard, ils forment un cortège de vanité qui avance lentement dans l’ivresse du succès. Il n’y a pas que dans le quartier de l’Opéra que ces astres furtifs scintillent d’arrogance. Les « bobos » prolifèrent dans toute la ville et chassent les manants. Des hipsters surdiplômés trimballent leurs barbichettes dans les nouveaux quartiers branchés où s’égrènent les boutiques chic et des essaims de magasins bio. En une poignée d’années, la capitale est devenue un vrai bunker.”

Mais l’écrivain n’épargne pas non plus les travers des populations des banlieues ghettoïsées, observées par le héros lorsqu’il visite ses parents; parmi les amis d’enfance en déshérence, figurent les crédules qui aspirent à “l’assimilation” conçue comme une “savonnette à vilains”, prêts à voter jusqu’au Parti National ou ceux tombés dans la bigoterie identitaire, assortie de l’ostentatoire panoplie – barbe longue, qamis, voile – sans compter l’obsession généralisée du complot américano-israélien… Dans cette atmosphère tendue, encore aggravée par les soubresauts des attentats horribles régulièrement perpétrés par ces extrémistes musulmans revendiquant leur appartenance à Daech, la France tombe, par la voie des urnes, telle un fruit trop mûr sur une prairie de mauvaises intentions, dans les bras de Mireille Le Faecq. La suite, c’est le héros qui la raconte, effaré et brusquement clairvoyant parce que touché de plein fouet malgré l’armure de son statut professionnel : l’emprise d’abord insensible des cœurs et des esprits, le glissement de la société vers une France brune dirigée par des blondes… Un singulier avertissement en forme de fable que nous donne ici Amellal. Rendez-vous en mai prochain ?