À lire : Ce que le siècle m’a dit, mémoires, Dominique Desanti

Ce que le siècle m’a dit, mémoires, Dominique Desanti

Catégorie : Autobiographie Éditeur : Hachette littérature ISBN : 9782012794078 Posté le par Liesel

Ce que le siècle m’a dit, mémoires, Dominique Desanti


Disparue le 8 avril dernier, cette femme de conviction née à Moscou en 1919, mena une vie tout en paradoxes : avoir pour père un Russe blanc et une mère juive, être “ensorcelée par le soviétisme” aux pires moments de la guerre froide puis faire un impressionnant et vigoureux mea culpa à travers un ouvrage publié en 1975, “les Staliniens, une expérience politique 1943-1956”, prôner et vivre l’amour libre tout en restant, pendant près de soixante années, l’épouse très éprise du philosophe Jean-Toussaint Desanti ou encore mener une carrière de journaliste exceptionnelle pour une femme de sa génération et regarder d’un œil circonspect certains courants féministes des années 70 en leur donnant son point de vue : “L’écrivain a un sexe, l’écriture n’en a pas”… L’autobiographie de cette biographe éclectique – Dominique Desanti a su retracer, de sa plume élégante et précise, des destinées aussi différentes que celles de Flora Tristan, Sonia Delaunay, Marthe Hanau, Nabokov ou Drieu La Rochelle – dense, est surtout centrée sur les années de guerre, années de jeunesse de l’auteur. Celle-ci explique son parcours atypique par le fait d’avoir été élevée au sein “d’une famille métissée” et par un homme seul, sa mère ayant déserté très tôt le foyer conjugal. Anti-bolchévik viscéral, grand bourgeois déclassé, ami de Kerenski et d’Edouard Herriot, ce père célibataire qui mourra sous des balles nazies, fit mener à sa fille une vie de bohème intellectuelle dans le Paris des années 30. De cette expérience, l’adolescente tire une forme d’ouverture d’esprit : “J’ai pris sans le savoir, de l’avance sur la marginalité, de l’avance sur la conscience des inégalités sociales, de l’avance sur une manière d’être égalitaire.” Très tôt, elle pige pour “Marie-Claire” et d’autres magazines avant que son adhésion au PC lui permette de tenir des chroniques régulières dans “Démocratie nouvelle” ou “l’Humanité”. Mais ce sont justement ses reportages dans les pays de l’Est qui, trop tardivement pourtant, lui dessilleront les yeux sur l’insupportable réalité des régimes communistes. Partant du principe que “faire quelque chose n’est pas plus dangereux qu’attendre”, la jeune femme s’engage pendant la guerre en rédigeant une feuille clandestine parisienne, “Sous la botte”, comme plus tard elle fera partie des “porteurs de valises pro-FLN”, avouant avoir gardé toujours le goût de l’action clandestine. Son adhésion au communisme, d’abord inspirée par les livres de Malraux sur la guerre d’Espagne, Dominique Desanti la justifie par ce qu’elle croyait être le seul rempart contre nazisme et fascisme, les cauchemars qui plombèrent sa jeunesse et celle de ses contemporains. Puis ensuite : “Ce qui m’a fait demeurer au Parti, ce mélange d’espoir exalté et de confort intérieur, cette fierté de lutter pour l’avenir et la joie intime d’être entourée de sœurs et de frères, cette fierté, plus forte que tous les doutes, d’appartenir à une contre-société internationale enceinte du futur.” La mémorialiste s’enthousiasme avec nostalgie pour “une époque où nous étions heureux d’admirer, après avoir si longtemps été contraints au refus, à la haine” mais n’oublie pas de rappeler comment Jean-Toussaint se moquait du couple Aragon-Elsa Triolet, les décrivant comme les icônes de la THSC (Très Haute Société Communiste) sur le modèle de la HSP des protestants. Cette femme qui se dit cosmopolite au sens de “celui qui touche à l’universalité quel que soit son lieu de naissance ou ses attaches”, retrouve le ton littéraire dont elle usait dans ses romans pour évoquer la ville de son cœur : “La Méditerranée exceptée, je n’aime que Paris, dont les jardins publics, les pluies opalines, les vues des ponts, que ce soit le pont Royal, la passerelle des Arts ou celles de l’île Saint-Louis, me servent d’évasion ou de retour.” L’esprit de ce témoin de temps maintenant anciens y flotte peut-être encore…