À lire : L’appartement oublié, Michelle Gable

L’appartement oublié, Michelle Gable

Catégorie : Roman Éditeur : Ed. Falaises ISBN : 9782848112541 Posté le par Liesel

L’appartement oublié, Michelle Gable


La plupart de ses semblables, Caroline Otero, Cléo de Mérode, plus tard Kiki de Montparnasse ou même Joséphine Baker, trouvèrent de leur vivant d’aimables plumes mercenaires pour raconter leurs vies de filles modestes parvenues au succès grâce à la scène et aux hommes. Pas Mathilde Beaugiron, alias Marthe de Florian de son “nom de guerre”, Cocotte longtemps oubliée de la Belle Epoque. C’est une Américaine, Michelle Gable, qui retrace ici, par le biais du roman, la destinée de cette gracieuse “horizontale” parisienne dont l’histoire refait surface à travers la découverte d’un tableau de Boldini; une œuvre méconnue du portraitiste mondain, retrouvée dans un appartement fantôme lors d’une succession.

On peut reprocher à cet épais pavé de souffrir des traditionnels travers des best-sellers : surabondance de dialogues souvent inutilement démonstratifs, faits historiques cités parfois de manière farfelue : l’auteure donne le chiffre d’“un million” (!!!) de badauds suivant le cortège de mariage de Jeanne Hugo rue de la Pompe ou campe Robert de Montesquiou, le dandy et homosexuel affiché du gratin parisien d’alors, comme l’amant jaloux et le mécène, donc fort improbable, de son héroïne. Michelle Gable s’attarde aussi un peu trop longuement sur les introspections de la narratrice; April, une experte en vente aux enchères habituée à tirer ses revenus des trois D : dettes, divorce, décès. Ici elle profite de son séjour professionnel à Paris pour faire le point, à distance, sur sa vie conjugale qui s’émiette… Mais le récit de cette succession mystérieuse emporte et, comme April, le lecteur grille d’en connaître plus sur l’ancienne occupante du vieil appartement abandonné à la poussière depuis les années 1940…

La romancière s’inspire d’une histoire vraie, relatée dans un émouvant fascicule illustré de photos sépia qui complète l’ouvrage : en 2010, Olivier Choppin de Ganvry, commissaire-priseur à Drouot, imagine pénétrer dans le château de la Belle au bois dormant en entrant dans le vaste trois pièces dont il est chargé d’estimer les biens après la disparition de sa dernière propriétaire. L’action se déroule dans la Nouvelle Athènes du 9ème arrondissement de Paris, anciennement baptisée quartier des Lorettes, ces filles entretenues qui peuplèrent les hôtels particuliers apparus autour de Notre-Dame-de-Lorette à l’époque romantique. Grâce au portrait de Boldini, Choppin de Ganvry comprend que la vieille dame ayant délaissé les lieux depuis plus de cinquante années est la petite-fille de l’élégante vêtue de soie rose qui a posé pour l’artiste et habité là aux temps de sa grandeur. Outre l’insolite autruche empaillée de l’entrée aux allures de vestale avec son châle de soie brodée jeté sur son plumage, comme si elle veillait le temps suspendu et le mobilier typique des appartements bourgeois surchargés de bibelots et tentures d’autrefois, l’expert découvre des lettres explicites : celles de Clemenceau sont nouées d’un ruban bleu, d’un ruban rouge pour Poincaré, d’un rose pour Deschanel, petits titres honorifiques et témoins des exploits amoureux d’une reine du Tout-Paris. Michelle Gable s’emballe, inventant à Marthe de Florian un parcours de bâtarde d’un grand écrivain français contrainte à travailler comme serveuse aux Folies Bergères avant de trouver la fortune aux bras de Boldini, Montesquiou comme on l’a déjà vu mais aussi Joseph Pujol… le célèbre artiste pétomane ! Défilent encore les docteurs Charcot et Pozzi, Marcel Proust ou Léon Blum en ami bienveillant… En quelques lignes écrites à la première personne, l’Américaine inspirée dessine avec justesse la trajectoire d’une Cocotte : “Il suffit d’ouvrir le Figaro et de chercher mon nom qui, miraculeusement, figure presque toujours dans les pages du Carnet mondain. Il y a trois ans, j’arpentais encore la ville dans de pauvres frusques trois fois trop grandes pour moi et désormais, les Parisiennes se battent pour connaître mes tenues. Elles copient mes robes ! Ma coiffure ! Et aucune ne saurait désormais se passer de ces plumes que j’ai été la première à porter.” Un ouvrage adéquat pour prolonger le thème de  la remarquable exposition du musée d’Orsay : “Splendeurs et misères, images de la prostitution – 1850-1910.”