“Je suis parisienne dans l’âme. Tout ce qui rebute les autres de Paris me plaît et m’est nécessaire. (…) J’aime mieux les arbres poudreux du boulevard et les ruisseaux noirs qui les arrosent que toutes vos forêts où l’on a peur et toutes vos rivières où l’on risque de se noyer. (…) Paris me fait l’effet d’être toujours en fête et ce mouvement que je prends pour de la gaieté m’arrache à moi-même.” Cette ode à la capitale, non écologiste et lucide quant à sa démesure, est de la plume d’une “vraie” Parisienne, née rue Meslay dans le 3ème arrondissement : George Sand. Pourtant, l’écrivaine finira ses jours dans un château familial de l’Indre. Toutes ses semblables, d’hier et d’aujourd’hui, éprouvent-elles la même admiration pour leur ville ? Emmanuelle Retailleau retrace leur histoire, dans cet ouvrage savant au ton enlevé, cherchant à décrypter le mythe de cette incarnation de “l’absolue féminité” apparue à la fin du XVIIIème siècle et définie depuis comme formant “une aristocratie parmi les femmes du globe”(*). Un temps écorné par une concurrence tapageuse venue d’outre-Atlantique, le prestige de la Parisienne persiste, la plupart des Américaines semblant toujours considérer la “Française” – entendons ici la Parisienne – comme le modèle inégalé de l’élégance, vestimentaire autant que morale.
De la contemporaine et aristocratique Inès de la Fressange à Arletty, archétype de la “Parigotte” d’entre les deux guerres, en passant par l’hétaïre du Second Empire, la révolutionnaire engagée de la Commune de 1871, la salonnière de la IIIème République, la “petite femme de Paris” des années 1950 jusqu’à l’actuelle “bobotte”, mi-bourgeoise, mi-bohème, perchée sur son vélo écolo à la recherche de boutiques et restaurants végétariens, qui est, réellement, cette citadine objet de fantasmes dans le monde entier ? Son histoire commence par la toilette avec Rose Bertin, marchande de mode attitrée de la reine Marie-Antoinette. C’est elle qui place Paris en figure de proue du bon goût. Au siècle suivant, Grisettes, Catherinettes, Midinettes volent la vedette aux dames du grand monde. Des statues les incarnent encore : la première, square Jules-Ferry dans le 11ème arrondissement, la seconde, square Montholon dans le 9ème, et la Montmartoise s’affiche square Carpeaux dans le 18ème, leur présence rattrapant un peu le trop modeste nombre de noms féminins donnés aux rues de la capitale (lire, à ce propos, le passionnant ouvrage de Malka Marcovich, “Parisiennes”, aux éditions Balland).
Idéal de féminité à la fois malicieuse, délurée tout en étant cultivée, la Parisienne a la réputation de lancer les modes et de les suivre, toutes classes sociales confondues. Pourtant aujourd’hui, la sémillante “petite bonne” venue de province et immédiatement adoubée parisienne grâce à sa malice effrontée, figure haute en couleurs de la littérature et du théâtre bourgeois du siècle dernier, a fait place à la travailleuse immigrée à l’image moins glamour malgré un destin semblable et dont l’arrivée dans la capitale n’accorde pas un brevet de parisianisme aussi flagrant… Du fait, sans doute, de la différence physique associée au racisme.
“Modèle forgé par les élites à des fins de cohésion et de fluidification sociale, la Parisienne est aussi, en son essence, un fantasme d’homme qui traduit tant le poids de la domination masculine au sein de la production culturelle que la position intermédiaire de tous ceux qui ont contribué à l’inventer, artistes, écrivains, journalistes (…)” souligne Emmanuelle Retailleau. Ce serait pourtant la bourgeoise qui fournirait “(…) la quintessence de la Parisienne”, affirme-t-elle : “Intuitive, renseignée sur toutes choses, d’une éducation suffisante qui ne la rend jamais pédante, curieuse à l’excès des menus faits du jour, fureteuse, dénicheuse d’occasions, amoureuse de flâneries, des mouvements et des événements de la rue, elle aime passionnément son Paris et sait y vivre avec goût et quelquefois avec art sans y éprouver un seul instant l’ennui de vivre car ses occupations, pour futiles qu’elles soient la font terriblement affairée.” Livres, pièces de théâtre, films, dessins avec les célèbres “Parisiennes” de Kiraz, reprennent son nom telle la revue littéraire lancée en 1953 par Jacques Laurent, “une revue imprudente qui touche à tout par amour de l’art”. En avril 1900, la cinquième expo universelle s’ouvre dans la capitale française avec pour effigie une haute statue de Paul Moreau-Vauthier, allégorie kitsch de la Ville de Paris. Malgré son exhaustivité, manque à la remarquable somme d’Emmanuelle Retailleau la Parisienne masquée, apparue en 2020. Un chapitre à écrire…
Pour compléter encore :
- “Les femmes de Paris à l’époque des Lumières”, Louis-Sébastien Mercier, Tallandier, Paris, 2012.
- “La Parisienne de Paris”, illustré par René Gruau, Séguier, 2014.
(*) Octave Uzanne.