À lire : Le droit d’émigrer, Catherine Wihtol de Wenden

Le droit d’émigrer, Catherine Wihtol de Wenden

Catégorie : Sociologie Éditeur : CNRS éditions ISBN : 9782271078827 Posté le par Liesel

Le droit d’émigrer, Catherine Wihtol de Wenden


“Aujourd’hui, du Nord au Nord et du Nord au Sud, on peut à la fois sortir de chez soi et entrer assez librement ailleurs. Du Sud au Nord, on peut désormais sortir de chez soi mais difficilement entrer ailleurs; du Sud au Sud, on sort et entre facilement mais souvent avec très peu de droits, que l’on soit migrant ou réfugié. Les frontières peuvent ainsi être fermées de l’intérieur et de l’extérieur, selon que les entrants sont désirés ou considérés comme présentant un « risque migratoire ».”

Ainsi la sociologue et politologue spécialiste des migrations internationales au CNRS, Catherine Wihtol de Wenden, décrit-elle l’état des mouvements de populations contemporains, dans ce synthétique et clair opuscule. Le nombre de migrants correspond aujourd’hui à 3,1% des 7 milliards de personnes qui peuplent la Terre. Ces migrations ont pour territoires, en premiers lieux, ceux d’où proviennent les migrants : les Africains se déplacent avant tout sur le continent africain, les Européens sur le continent européen, etc. Ce sont les classes moyennes qui forment le gros de ces aventuriers décidés à choisir leur destin, les plus pauvres n’en ayant ni la force physique et psychique, ni le pouvoir financier.

Sur le territoire français, la chercheuse rappelle que le terme “immigré” fut inventé en 1791 pour désigner les anti-révolutionnaires fuyant à l’étranger, principalement de l’autre côté du Rhin, à Coblence en Rhénanie-Palatinat, dans le sillage des frères de Louis XVI, désireux de conspirer contre le nouveau pouvoir en place. Si le droit de circulation, universel, figurait dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, les violences révolutionnaires et ces concentrations de mouvements ennemis aux frontières, réduisirent l’esprit d’ouverture de la jeune république. Elle instaura alors le système de l’Etat civil en 1792 puis l’obligation de posséder un passeport pour les étrangers. Au XIXème siècle, un peu partout, il était plus difficile de partir de chez soi que de s’installer hors frontières. Aujourd’hui, la situation s’est inversée. Seule la Chine encore, comme jadis l’Union soviétique, exige de ses propres citoyens un passeport pour voyager à l’intérieur du territoire national.

Catherine Wihtol de Wenden rappelle, avec Emmanuel Kant, que “l’hospitalité doit être la première règle de conduite éthique de l’humanité” et cite Hannah Arendt quand celle-ci souligne l’importance du droit d’émigrer pour l’homme moderne, contre le totalitarisme. L’auteure dénonce le mouvement répressif né de l’Etat moderne qui, à travers ses systèmes de fichage par les papiers et l’instauration de frontières rigides, crée des sans-papiers au statut flou et précaire, donnant ainsi naissance à une nouvelle forme d’exclusion violente et souvent durable, aux séquelles probablement dommageables pour les sociétés “accueillantes” elles-mêmes.

Elle s’étonne que dans le monde libéral qui est le nôtre et qui vante la mobilité comme facteur essentiel du développement humain, un monde où circulent aisément les biens, l’information, les idées, les talents et où les habitants des pays riches, notamment ses élites, sont fortement encouragés à la mobilité, ceux des pays pauvres en soient, au contraire, empêchés. “L’une des plus grandes inégalités actuelles réside, en effet, dans le pays de naissance de chacun” constate la sociologue. Car si le traité de Maestricht de 1992 donne aux citoyens européens la liberté de circulation, d’installation et de travail sur le territoire européen, celui de Schengen de 1985 limite fortement la mobilité des non-Européens quand ils sont parvenus à y entrer. Ainsi bloqués dans une Europe ayant tendance, depuis la crise pétrolière de 1973, à se refermer dans une posture nationaliste et sécuritaire, voire xénophobe et raciste, ces migrants sont ainsi de plus en plus réduits à mentir pour trouver une place et mener à bien leur projet d’améliorer leur vie. Ils dissimulent donc les raisons économiques de leurs déplacements afin de tenter d’obtenir le statut, plus favorable, de demandeur d’asile. Et l’on aboutit à un système grippé où les ressentis plein de méfiance se crispent de part et d’autre. L’opinion publique des pays d’accueil, aux populations modestes fortement touchées par la crise économique, peine à accepter que le phénomène migratoire ne soit plus envisagé uniquement du point de vue de leurs propres besoins – économiques et ou démographiques – mais aussi de celui de la volonté et des projets personnels des migrants étrangers. Lorsqu’ils se réfugient derrière la notion de frontières étanches, les dirigeants et citoyens de ces pays d’accueil paraissent oublier qu’ils ont pourtant, au cours de leur histoire, été à l’origine de nombreux déplacements de populations autoritaires (traite esclavagiste, déportations politiques et pénitentiaires, colonisation, etc.).

Catherine Wihtol de Wenden avance l’idée hardie que “la mobilisation pour le droit d’émigrer et pour les droits des migrants, va prendre, au cours du XXIème siècle, une ampleur comparable à ce qu’a pu représenter, en son temps, la campagne pour l’abolition de l’esclavage à en juger par la part qu’occupent les questions migratoires dans le militantisme associatif et les forums sociaux internationaux.” La question reste donc ouverte et en ébullition dans tous les pays riches, parfois miroir aux alouettes au regard des habitants des pays défavorisés.

L’eldorado convoité se réduit la plupart du temps à une terre hostile n’offrant que des perspectives moroses. “Dans la France souterraine, ils balayaient les rues, triaient les ordures, torchaient les vieilles dames et nettoyaient les moquettes des bureaux la nuit pour que le jour, tout puisse fonctionner à merveille comme si la crasse, la vieillesse et les déchets n’existaient pas. Comme si eux-mêmes n’existaient plus” raconte Delphine Coulin dans son roman paru l’an dernier aux éditions du Seuil, “Samba pour la France”. Malgré tout, la Terre appartient à tous et chacun devrait avoir le droit de s’installer où bon lui semble, dans le respect des droits des autres.