À lire : Les chasses à l'homme, Grégoire Chamayou

Les chasses à l'homme, Grégoire Chamayou

Catégorie : Sociologie Éditeur : La Fabrique éditions ISBN : 9782358720052 Posté le par Liesel

Les chasses à l'homme, Grégoire Chamayou


De la capture des esclaves pour le commerce triangulaire à la poursuite des sans-papiers sombrement relancée ces jours derniers par le président de la République et son ministre de l’Intérieur, cet ouvrage pertinent retrace la triste histoire de la chasse des humains par leurs semblables.

Le philosophe commence par la Genèse, avec le parcours de Nemrod, petit-fils de Cham, le fondateur de Babel, ce premier roi qui peuple la Terre en désobéissant à Dieu puisqu’il capture une population pour la fixer de force là où bon lui semble.

On y trouve aussi les réflexions de l’abolitionniste Schoelcher quand il souligne l’attitude paradoxale des colons ne cessant d’affirmer que les esclaves sont satisfaits de leur “juste” sort alors que ces mêmes colons passent une grande partie de leur temps à poursuivre des fugitifs. L’auteur rappelle le terrible destin du banni, sous l’Ancien Régime : mort pour la société, le droit et l’Etat, le réprouvé sait qu’il n’aura nulle sépulture et que son épouse sera déclarée veuve.

La chasse à l’homme fascine car elle libère la férocité naturelle de chacun, protégée par la folie de la foule, toujours en quête d’un ennemi intérieur (même s’il est souvent suspecté de venir de l’extérieur) et commun, comme on a pu le constater lors des dévoiements de la plupart des révolutions et aussi lors des génocides. Lutte entre des intelligences de même nature, la chasse à l’homme excite enfin car elle est porteuse du risque de retournement de situation, le chassé qui se transformerait subitement à son tour en bourreau. C’est même l’un des arguments fréquemment utilisés pour lancer une opération de “nettoyage” des camps nomades, squats ou ghettos urbains, systématiquement présentés comme porteurs de dangers pour le reste du territoire alors qu’ils le sont, avant tout, pour leurs habitants. La chasse aux pauvres trouve sa place dans ce tableau mais, et cette fois, on s’en réjouira, Chamayou note qu’elle rencontre, toutes époques confondues, l’animosité des populations souvent enclines à protéger les gueux de la maréchaussée. Reste encore la chasse à l’étranger, particulièrement virulente aux débuts de l’industrialisation durant laquelle le capitalisme monte les pauvres les uns contre les autres, cherchant à étouffer le frémissement de la lutte des classes par la lutte des races et des nationalités.

La chasse aux juifs, bien sûr, d’abord religieuse et sociale avant de virer à l’horreur de la haine raciale mise en pratique sous le 3ème Reich. L’auteur rappelle les propos de l’historien Hobsbawm qui avance qu’un Etat aux lois promptes à trouver puis traquer des “brebis galeuses” trahit la faiblesse de son pouvoir. Mais on redécouvre avec espoir et soulagement quelques extraits de la pensée de Bartolomé de Las Casas que son expérience d’aumônier des Conquistadores a transformé en défenseur de tout le genre humain. Ainsi affirme-t-il qu’est inhumain celui qui exclut d’autres hommes de l’humanité.

De nos jours, exclure quelqu’un de l’humanité peut consister à lui dénier ses droits de citoyen sous divers prétextes, au fil d’exigences électoralistes d’un pouvoir réactionnaire. La lecture du célèbre Dominicain pourrait fructueusement inspirer nos dirigeants, mais sans doute n’y ont-ils pas plus d’intérêt que pour la prose de madame de Lafayette...