À lire : Paris Gare du Nord, Joy Sorman

Paris Gare du Nord, Joy Sorman

Catégorie : Sociologie Éditeur : L'Arbalète Gallimard ISBN : 9782070135578 Posté le par Liesel

Paris Gare du Nord, Joy Sorman


On croirait un inventaire à la Prévert en lisant cet opuscule, fruit de l’immersion, une semaine durant, de l’écrivaine Joy Sorman dans la plus grande gare d’Europe. Car on y rencontre, bien sûr, une multitude de voyageurs pressés mais aussi des contrôleurs qui souffrent du dos, des masseuses en plein air pour citadins surmenés, des Gitanes à la fois quêteuses, moqueuses, parfois voleuses, des touristes, un plan à la main, l’attention aux aguets, endimanchés pour leur escapade parisienne, des prostitués adolescents “beaux, arrogants, magnétiques”, des policiers obsédés par la chasse aux sans-papiers et aux “jeunes de banlieue” et angoissés par de possibles attentats terroristes, des rats géants nourris au dépôt d’ordures, des drogués en crise… On y découvre des codes étonnants telle, par exemple, la couleur du carrelage du sol indiquant de quelles forces de sécurité dépendent les zones : blanc pour la SNCF, noir pour la RATP. Ou encore les deux mondes distincts que sont celui des grandes lignes, dans la gare historique dessinée par Hittorff sous Napoléon III, lumineuse, peuplée d’hommes d’affaires et de voyageurs au long cours sans compter la poignée de VIP quotidiens – l’auteur croise Brice Hortefeux ! – contrastant avec le coin sombre des trains de banlieues enterrés dans les sous-sols. Là, erre une jeunesse pauvre qui traîne son ennui et son désir d’ailleurs devant des vitrines de magasins aux éclairages néons tandis que leurs aînés, gagne-petits forcés de travailler toujours plus, lorgnent d’un œil blasé ou anxieux les tableaux électroniques annonçant les sempiternels retards des rames en direction de cités-dortoirs. Joy Sorman donne aussi des chiffres : cette gare de 80 000m2 qui accueille 600 000 voyageurs par jour et abrite un départ toutes les 3 minutes, ferme seulement trois courtes heures, la nuit. La sociologue improvisée constate avec désarroi qu’archétype du monde moderne, la gare est un lieu où “il faut circuler, évacuer, surtout ne pas se poser, pas s’installer” et note l’incroyable remarque d’un agent de sécurité qu’elle questionne au sujet des bancs interdits aux vagabonds : “Les bancs, c’est pour les vrais gens.” Curieusement, la narratrice n’évoque pas l’étonnante et gigantesque installation de l’artiste Fabien Chalon au titre optimiste, “le Monde en marche”, plantée depuis 2008 au beau milieu de la grande verrière. Le hall de la gare prend ainsi des allures d’église pendant la grand-messe avec sa fumée blanche en guise d’encens, sa musique spirituelle qui semble échappée du ciel et toutes les têtes levées vers l’écran comme pour une communion. Celle du voyage, peut-être et du “vivre ensemble” malgré tout ?…