À lire : Portraits de femmes, Sainte-Beuve

Portraits de femmes, Sainte-Beuve

Catégorie : Biographie Éditeur : France-Empire ISBN : 9782704811441 Posté le par Liesel

Portraits de femmes, Sainte-Beuve


“Quelquefois, je suis tentée de prendre une culotte et un chapeau, pour avoir la liberté de chercher et de voir le beau de tous les talents.” Cette confidence de Manon Philippon – retenue par l’histoire sous son nom d’épouse, celle de Roland, le ministre de l’Intérieur en 1792 – souligne combien la position des femmes continuait, même au cœur de la tempête révolutionnaire, à rester en retrait dans une société menée par les hommes. A lire leurs destinées, on peut imaginer que les cinq autres héroïnes de cet ouvrage auraient partagé l’avis de l’amie des Girondins. L’auteur lui-même, qui fut pourtant proche de plusieurs de ses contemporaines remarquables telles George Sand, la princesse Mathilde ou Marceline Desbordes-Valmore, ne peut s’empêcher d’attribuer un esprit “mâle” à la plupart des femmes de talent dont il veut faire l’éloge. Pour madame de La Fayette, Sainte-Beuve reprend le compliment de Boileau : “la femme de France qui avait le plus d’esprit et qui écrivait le mieux”. Il ajoute qu’avec sa fameuse “Princesse de Clèves”, parue chez Barbin en 1678, la subtile comtesse fut l’instigatrice du roman moderne par sa peinture de l’amour au plus proche de la vérité des sentiments. De la duchesse de Longueville, sœur du Grand Condé et du prince de Conti, qui par amour pour La Rochefoucauld, l’auteur des Maximes, s’engagea avec fougue dans la Fronde contre Mazarin avant de se retirer au couvent, il dit : “Sa vie s’est partagée en deux moitiés contraires, l’une d’ambition et de galanterie, l’autre de dévotion et de pénitence.” La marquise de Sévigné offre l’occasion au biographe d’afficher son enthousiasme pour le siècle de Louis XIV dont il semble lui-même le digne et plaisant héritier. Une époque, rapporte-t-il, où régnaient “l’esprit de conversation et de société, l’entente du monde et des hommes, l’intelligence vive et déliée des convenances et des ridicules, l’ingénieuse délicatesse des sentiments, la grâce, le piquant, la politesse achevée du langage”. Cet amour du passé n’empêche pas Sainte-Beuve de poser un regard clairvoyant sur la peur de la nouveauté qu’il note aussi récurrente que fugace au fil des époques : “Après chaque poussée en avant, où un talent se fait jour de vive force, ils veulent clore, ils relèvent vite une barrière que de nouveaux talents forceront bientôt. Ils niaient (eux ou leurs pères), ils niaient madame de Staël ou monsieur de Chateaubriand il y a trente ans, et monsieur de Lamartine il y en a quinze, ils les subissent, ils s’en emparent, ils s’en font une arme contre les survenants aujourd’hui (…)” Sur Germaine de Staël, justement, Sainte-Beuve pose un regard à la fois tendre et admiratif. S’il place “Corinne ou l’Italie” haut dans la littérature et qu’il se félicite de la hardiesse de la pensée politique de la dame de Coppet, il moque, non sans humour, le conflit opposant cette dernière à Napoléon Ier : “L’existence de madame de Staël est dans son entier comme un grand empire qu’elle est sans cesse occupée, non moins que cet autre conquérant son contemporain et son oppresseur, à compléter et à augmenter (…) comme une impératrice de la pensée, elle aimait à enserrer dans ses libres domaines, tous les apanages. Quand Bonaparte la frappa, il en voulait confusément à cette rivalité, qu’elle affectait sans s’en rendre compte elle-même.” Enfin, Sainte-Beuve compare les sentiments exclusifs et passionnés de Germaine de Staël pour son père à l’impressionnant amour maternel de madame de Sévigné pour sa fille. Un chapitre est consacré à une écrivaine plus méconnue, Pauline de Meulan, qui publia des “Conseils de morale”, fut journaliste au “Publiciste” où elle rencontra Guizot qui devint bientôt son époux. Madame Guizot meurt en 1827, en écoutant son mari lui lire le sermon de Bossuet sur l’immortalité de l’âme. Peut-on rêver fin plus sage, plus réconfortante, peut-être ?... En ces temps pressés qui, en matière de littérature, filent toujours plus vite au gré des modes et de la notoriété des auteurs au risque de perdre les plaisirs du style et parfois même du sens, il est précieux de plonger dans cette réédition d’une partie des cinq tomes de “Critiques et portraits” publiés par un intéressant témoin de l’histoire et des lettres un peu oublié.