À lire : Rosa Bonheur, une artiste à l’aube du féminisme, Marie Borin

Rosa Bonheur, une artiste à l’aube du féminisme, Marie Borin

Catégorie : Biographie Éditeur : Pygmalion ISBN : 9782756404035 Posté le par Liesel

Rosa Bonheur, une artiste à l’aube du féminisme, Marie Borin


“Je ne sais ce que Rosalie sera, mais j’ai la conviction qu’elle ne sera pas une femme ordinaire” disait d’elle sa mère, Sophie Bonheur. Celle-ci, fille naturelle d’un aristocrate qui avait fui la Terreur révolutionnaire en Allemagne quelques années durant, fut élevée en Aquitaine dans le château de son père. C’est dire si elle changea radicalement de milieu lorsqu’elle épousa Raimond Bonheur, professeur de dessin débutant et impécunieux. En 1827, le jeune couple part tenter sa chance à Paris où Raimond est bientôt séduit par les idées utopistes des Saints-Simoniens. Pour adhérer à la secte, l’enseignant fait vœu de célibat, abandonnant femme et enfants. Sophie, totalement désemparée, en meurt de chagrin. De cette sombre expérience familiale, l’aînée, Rosalie, tire deux leçons qui règleront toute son existence : elle gagnera sa vie sans l’aide de personne et ne se mariera jamais. Lucide autant qu’honnête sur ses contemporains des deux sexes, elle écrit pourtant : “Je sais bien, parbleu, qu’il peut exister quelque époux d’une plus noble trempe qui sont les premiers à faire ressortir les mérites de leur femme, mais ils sont si rares !” Et cette nature bienveillante choisit de ne retenir des dogmes paternels que l’aspect positif : “Pourquoi ne serais-je pas fière d’être femme ? Je suis persuadée qu’à nous appartient l’avenir. Mon père, cet apôtre enthousiaste de l’humanité, me répétait que la mission de la femme était de relever le genre humain, qu’elle devait être le messie des siècles futurs. Je dois à ses doctrines ma grande et fière ambition pour le sexe auquel je me fais une gloire d’appartenir et dont je soutiendrai l’indépendance jusqu’à mon dernier jour.” C’est aussi Raimond Bonheur qui pousse sa fille dans la carrière artistique et l’encourage à “dépasser Elisabeth Vigée-Lebrun”. Rosalie, devenue Rosa, va plus loin même, se piquant de sortir du domaine où l’on cantonne alors les femmes : le portrait et les fleurs. L’adolescente leur préfère les animaux domestiques et parfois les paysans qui les soignent. Privilégiant le dessin par rapport à la couleur, la mémoire par rapport à la perception, la peintre connaît son premier succès à dix-neuf ans en présentant au Salon ses “Deux lapins”. Après la guerre de 1870 dont les violences marquent fort l’artiste, celle-ci peuple désormais ses toiles de grands fauves, lions et tigres qu’elle offre à la ménagerie du Jardin des plantes une fois “croqués”. Celle qui se définit comme une “vestale de l’art” est, sous Napoléon III, invitée par le duc de Morny, reçoit la visite de l’impératrice Eugénie et du prince impérial. Le petit garçon est fasciné par la ferme modèle installée au château de By, à Thomery près de Fontainebleau où la créatrice s’est retirée pour préserver son inspiration de l’agitation parisienne. La souveraine fait hardiment nommer Rosa Bonheur chevalier de la Légion d’honneur “car le talent n’a pas de sexe”. Plus tard, le président Sadi Carnot, ardent féministe et dont le père fut aussi saint-simonien, s’inscrit au rang des admirateurs de Rosa. Jusqu’à Buffalo Bill qui vient saluer la célèbre Française, fascinée par les Indiens… et les bisons d’Amérique qui lui rappellent sans doute les innombrables vaches de ses toiles ! Pourtant, la vie de Rosa Bonheur se dessine comme un perpétuel combat contre l’intolérance : on lui reproche sa réussite outre-Manche, étonnamment vécue comme une trahison par quelques patriotes exaltés, le choix exclusivement animalier de ses tableaux, le port du pantalon qu’elle juge plus pratique sous la blouse de peintre et enfin et surtout, sa cohabitation avec les deux femmes qui partagèrent sa vie. La première, Nathalie Micas, d’esprit scientifique, conçut un frein à patins pour locomotives jamais validé par les ingénieurs des chemins de fer, la seconde, Anna Elizabeth Klumpke, une Américaine, se fera biographe de la peintre qui la choisit aussi pour légataire universelle. La lecture du testament de Rosa Bonheur, long et laborieux plaidoyer s’efforçant de faire accepter ce geste envers sa compagne qui, la vieille dame le devine, choquera les “bien-pensants”, est à lui seul le témoignage de la difficulté d’être femme et libre, y compris dans “l’Europe des Lumières”, jusqu’au début du XXème siècle. Il reste encore bien du chemin à faire aujourd’hui en ce domaine, sur la planète entière…