À lire : Une duchesse américaine, Consuelo Vanderbilt Balsan

Une duchesse américaine, Consuelo Vanderbilt Balsan

Catégorie : Biographie Éditeur : Tallandier ISBN : 9782847348788 Posté le par Liesel

Une duchesse américaine, Consuelo Vanderbilt Balsan


C’est l’histoire d’une femme singulière dont la vie se scinde en trois; New York, Londres et Paris, comme le rappelle le sous-titre de ses mémoires. A New York, elle naît dans la richissime famille des Vanderbilt, descendants du “Commodore” alias Cornelius Van der Bilt, un fils d’Irlandais devenu milliardaire, grâce à la construction de chemins de fer et au transport maritime au cœur de ce XIXème siècle capitaliste autant que frénétique. Consuelo fait de la luge à Central Park, du patin à roulettes le long des interminables couloirs de l’hôtel particulier de ses parents sur la 5ème avenue ou dans la demeure copiée du Grand Trianon de Versailles qu’ils ont fait bâtir à New Port. A dix-huit ans, la jeune Américaine doit renoncer à son rêve d’étudier la littérature anglaise à Oxford pour satisfaire sa mère qui préfère la lancer sur le marché des fameuses “dollars princesses”. Consuelo connaît donc le même sort que sa compatriote Anna Gould dont Boniface de Castellane, époux aussi intéressé que goujat, raillait : “Elle est jolie, vue de dot” ou Clara Ward, du Michigan, qui eut l’audace de quitter l’aristocratique Joseph de Caraman-Chimay pour un musicien tzigane… Moins hardie, Consuelo, même si elle s’avoue “arrachée à sa jeunesse”, endosse d’abord avec abnégation son rôle de duchesse de Marlborough. A l’exemple de son promis, Charles, 9ème du nom, qui lui rappelle avec une lucidité cynique le jour de leurs fiançailles qu’ils ne sont que les “maillons d’une chaîne”, sous-entendu sociale, qu’il faut perpétuer sans plus se poser de question. L’exilée s’efforce dès lors de tenir son rang de pairesse du royaume britannique et d’hôtesse du château de Blenheim, ce palais de 170 pièces qui fonctionne grâce à un peuple de domestiques aussi imbus de leurs pauvres prérogatives que la vieille noblesse immobile qu’ils servent.

Si elle ne se rebelle pas encore, cette fille du nouveau monde perdue en terre d’Albion s’offusque de constater, par exemple, qu’on mélange sucré et salé dans les restes donnés aux pauvres, s’effare qu’un prince de sang ait la médiocrité de lui reprocher de ne pas porter sa tiare de diamants le jour où elle le reçoit et désapprouve secrètement “les lois de fer régissant les codes”, aussi ridicules et dispendieuses que celle, par exemple, qui consiste à imposer de changer seize fois de tenue dans une même journée lors d’une réception à la cour. Au fil du temps, la jeune femme s’affirme et profite de sa position pour emmener le prince de Galles visiter les taudis londoniens, interroger Nicolas II sur l’absence de système démocratique en Russie ou refaire le monde avec Winston Churchill, devenu son parent et pour lequel elle semble éprouver une très tendre amitié. Sa plume s’emballe pour “l’esprit démocratique, la puissance de concentration, la folle énergie” et aussi les talents de peintre du futur chancelier de la reine et vainqueur de Hitler. La France et ses habitants enthousiasment aussi celle qui fut le ravissant modèle d’Helleu, Carolus Duran et Boldini, comme elle le rapporte de sa plume enthousiaste : “J’adorais l’exquis mélange, fait d’ombre et de lumière, qui animait les rues et les monuments de la capitale quand le soleil y donnait. J’étais séduite par l’humanité chaleureuse dont rayonnaient les Français dans leur vie si simple et si joyeuse. Nulle trace de fausse honte dans leur manière franche d’embrasser les plaisirs de l’existence. Les amants se promenaient bras dessous, bras dessous, les mères pressaient leurs enfants contre leur poitrine généreuse et chacun en passant partageait leur bonheur.

A chaque retour précipité vers l’Angleterre, depuis les champs de maïs doré aux blanches falaises de Calais, je me sentais irrémédiablement triste de devoir quitter un peuple qui, selon moi, à ce niveau de civilisation, était parvenu à apprécier les véritables valeurs de la vie.” C’est d’ailleurs un Français qui ravit le cœur de Consuelo après son divorce et l’emmène couler des jours heureux entre Paris et leur propriété de la Côte d’Azur. L’ex-duchesse s’est éprise de Jacques Balsan, frère du premier protecteur de Coco Chanel, issu d’une famille de drapiers de Châteauroux qui doit son aisance aux pantalons garance puis au bleu horizon des uniformes de l’armée française. Dès lors, se bousculent à la table du couple non plus la fine fleur surannée des grands titres britanniques mais de plus fins esprits tels que Bernard Shaw, Charlie Chaplin, Sacha Guitry, la cantatrice Nellie Melba ou John Galsworthy, l’auteur de la saga des Forsyte… Et Consuelo découvre la liberté de pouvoir défendre enfin, et de manière efficace, de vraies “nobles” causes comme celle de batailler pour de meilleures conditions de travail des ouvrières, la création de sociétés d’entraide pour les femmes de prisonniers ou de militer pour le vote des femmes, obtenu aux USA en 1920. Plus tard, c’est elle qui est à l’origine de la création de l’hôpital Foch.

Si la conteuse frôle parfois le ridicule quand elle s’inquiète de la familiarité des prolétaires qu’elle croise dans les rues de Paris au moment du Front Populaire ou lorsqu’elle quitte sa Rolls pour rejoindre Nice à pied, à l’exemple des vieilles paysannes provençales rencontrées sur son chemin, elle fait souvent penser à Connie, l’héroïne de “Lady Chatterley et l’homme des bois” et sa découverte désarmante et sincère du monde réel, hors du “grand” monde. La Seconde guerre mondiale venue, Consuelo Balsan ouvre son château normand aux réfugiés et soutient son mari engagé aux côtés du général de Gaulle à Londres mais elle rentre dès 1940 aux USA d’où elle ne repartira plus. Peut-être de peur de ne plus retrouver la quiétude de cette “vieille Europe” qu’elle aimait tant et qu’elle pressentait éphémère : “Nous avions dressé une tente indienne sous les cèdres de la pelouse sous laquelle je pris l’habitude de m’asseoir avec nos invités. Nous prenions toujours avec nous le Times ou le Morning Post et un livre ou deux, mais ces publications laissaient vite place à la discussion. Nous faisions beaucoup plus la conversation qu’aujourd’hui (…) Nous parlions matin, midi et soir mais nous savions aussi écouter.

Il y avait tant à débattre. La vie politique nous passionnait, tout autant que les derniers romans d’Henry James ou d’Edith Wharton – deux Américains qui se permettaient l’audace d’écrire sur l’Angleterre et les Anglais. Nous avions les pièces de Bernard Shaw et d’Ibsen, les sciences psychiques de William James, les réformes sociales de Sydney Webb et des fabiens. Nous parlions sans arrêt, car le rythme de l’existence semblait doux, calme et serein; il n’y avait pas de radio à allumer. Parfois, nous jouions au tennis et nous canotions sur le lac et, l’après-midi, la maisonnée s’adonnait au cricket sur la pelouse. Installée sous les arbres, la table à thé composait un tableau charmant avec ses plateaux qui croulaient sous les pyramides d’abricots et de pêches, de fraises et de framboises, ses bols emplis à ras bol de crème du Devonshire, ses pichets de café frappé, ses scones à tartiner de confitures variées et ses gâteaux recouverts de glaçage. Nul ne pratiquait le régime à cette époque et chacun se disputait les faveurs de la responsable du garde-manger, préposée à la préparation du thé.”